Friday, May 26, 2006

Gnawa diffusion casse la baraque!

Au Maroc, les esclaves noirs de l’Afrique sub-saharienne ont formé des communautés qui se nomment les Gnawas. Les Gnawas, maîtres musiciens, pratiquent un type de chants qui mélange les traditions berbères, arabes et noires africaines. Ce chant est envoûtant, hypnotique, thérapeutique. Il est le lien harmonique transculturel entre l’Islam et l’animisme. C’est le principal véhicule qu’emprunte Amazigh Kateb, leader du groupe Gnawa diffusion, pour transcender lui aussi les frontières et briser les tabous qui empêchent l’harmonie.


Gnawa diffusion est souvent comparé à Manu Chao et son Radio Bemba Sound System, ou encore aux joyeux lurons du groupe toulousain Zebda. Les comparaisons ont souvent leurs défauts, mais la parenté avec l’activisme d’un Manu Chao et avec la fête qu’est un concert de Zebda n’est pas gratuite : même kermesse endiablée et un message engagé jusqu’au cou!
Le samedi 18 septembre dernier, le groupe était de passage à Montréal, dans le cadre du premier anniversaire de la revue de gauche À babord. La salle du Medley était pleine d’une foule bigarrée qui attendait avec impatience la venue de ce groupe charismatique. La première partie était assurée par le dynamique et excellent groupe Loco Locass, qui a réchauffé la foule avec, entre autre, une chanson qui paraîtra sur son prochain album : « Libérez-nous des libéraux »! L’allusion à Charest comme un « traître chez nous » est un peu malsaine, mais ce petit trio bourré de talents déballe les rimes avec tant d’éloquence qu’on peut leur pardonner un petit excès.
Fondé en 1992 à Grenoble, Gnawa diffusion en est déjà à son troisième album studio. « Souk System » est le dernier-né. En 2001, le groupe a également accouché d’un album live enregistré à Alger, au moment ou la Kabylie (une région et un peuple distinct vivant en Algérie) se rebellait contre l’autorité centrale. La chanson la plus connue du groupe est certainement « Ombre Elle » :
« J’aimerais être un fauteuil/ dans un salon de coiffure pour dame/ pour que les fesses des belles âmes/ viennent s’écraser sur mon orgueil »
L’air de rien, et avec beaucoup d’humour, la chanson aborde l’énorme tabou de la sexualité en Algérie et, par extension, dans le monde musulman. « Elle évoque un complexe très présent chez nous, le fait qu’on ne peut pas approcher les femmes en tant qu’hommes avant le mariage. C’est un problème social grave car notre jeunesse souffre d’une sexualité inexistante, d’une non-sexualité en fait », déclare Amazigh en entrevue pour un journal algérien. Fils du poète algérien Kateb Yacine, Amazigh – un nom qui signifie « Homme libre » en berbère – a débarqué en France à l’âge de 17 ans, en 1988. L’année suivante, son père meurt à la suite d’une foudroyante leucémie.

Le groupe et son verbe sont donc particulièrement acerbes et non-orthodoxes. L’une des chansons s’intitule « Ben-la-danse », en référence à celui qui s’appelle Laden. Une autre a pour refrain « Fuck the american power! », une phrase singulièrement exaltante à crier à tue-tête en ces mois d’hégémonie envahissante. Et vous pouvez compter sur Gnawa diffusion pour persister et signer!
Le groupe utilise une foule d’instruments traditionnels gnawas, comme le gumbris – un instrument à corde – et les karkabous – des claquettes métalliques semblables aux castagnettes espagnoles, mais autrement plus exotiques et mystérieuses – ainsi que le luth arabe, toujours aussi émouvant. Il est aussi composé d’une guitare électrique, d’une batterie, d’un clavier et de tout un tas de percussions. Le groupe n’utilise pas exclusivement la musique gnawa, mais explore aussi les avenues du jazz, du blues, du reggae et du châabi – un style propre à la région d’Alger – pour passer ses messages. Plusieurs des chansons utilisent l’arabe, mais aussi le français et l’anglais. Un magnifique mélange, festif et engagé!


Gnawa diffusion, album Souk System, 2003, est disponible sur étiquette Warner Jazz France.

Pour en savoir plus :
Gnawa diffusion
www.gnawa-diffusion.com

Loco Locass
www.locolocass.net

À babord
www.ababord.org