
J’avais l’impression que quand on décroche un doctorat de l’UdeM, il y avait un poste de professeure qui venait à la clé avec ça…
Catherine Mavrikakis : Ah non, pas du tout! Des postes y’en a pas tant que ça… Il n’y a que 4 universités à Montréal, et moi je suis spécialiste des 19 & 20ièmes siècles. Parfois il s’ouvre des postes, mais disons vite que le 17ième siècle, ce n’est pas pour moi! J’ai eu beaucoup de chances d’atterrir au département d’études françaises de Concordia: j’ai pu faire de la recherche, travailler avec un groupe sur le Sida à une époque importante, sur la sexualité et l’identité. En fait c’est majoritairement un département de traduction, il n’y a pas beaucoup d’étudiants en lettres. Mais bientôt il va y avoir une maîtrise en lettres qui va développer un petit peu le côté littérature au département. Elle est bien la littérature au département, mais comme il n’y avait pas de 2ième cycle ça empêche un certain esprit. Ça va être très important.
Vous avez publié 3 livres…
Catherine Mavrikakis : Oui, 2 romans et un essai. Le premier était ma thèse de doctorat sur la langue, l’imaginaire de la langue et la folie, le deuxième était un roman…
Votre thèse a été publié d’abord en France…
Catherine Mavrikakis : Elle a juste été publié en France.
Wow! C’est comme Réjean Ducharme…
Catherine Mavrikakis : (rire) Vous savez quand on fait des essais je vais vous dire un truc : on est lu par, quoi, 50 personnes? Je travaillais sur la littérature française, Stéphane Mallarmé, un auteur du 19ième siècle, sur des auteurs russes aussi… En France, j’allais avoir peut-être un peu plus de lecteurs qu’au Québec, et il fallait trouver quelqu’un qui accepterait de me publier…
C’était quoi l’atmosphère à Concordia quand vous y êtes arrivé? On se rappelle qu’en 1992, il y a eu un massacre ici.
Catherine Mavrikakis : Tu sais le département d’études françaises de Concordia est un peu…
Coupé du reste?
Catherine Mavrikakis : (rire) oui. Bon, il n’est pas toujours coupé du reste mais il y a la langue qui est une barrière à Concordia. Il faut faire un effort. Être uniquement francophone à Concordia, c’est plutôt difficile. Enfin, si on voulait être uniquement francophone. Par contre on peut être
uniquement anglophone, puisque c’est quand même une université anglophone. Mais pour en revenir à l’atmosphère… je ne peux pas dire que ça m’aitt particulièrement marqué ou que je me sois aperçu de quoi que ce soit de particulier dans l’atmosphère. Le massacre de Polytechnique (le 6 décembre 1989) m’a beaucoup plus touchée alors que celui de Concordia, je ne m’en rendais pas bien compte. Je n’avais pas encore compris ce que c’était qu’être prof, chargé de cour, la rage de Fabrikant : ne pas pouvoir réussir, de l’injustice dans son travail. Par contre la rage de Marc Lépine était plus proche… Je suis pas très proche des motivations de Fabrikant. Marc Lépine ça m’a frappée plus fort. Mais à Concordia je sais pas si … j’imagine que ça a changé les rapports. Les années 90 pour moi c’était vraiment l’émergence d’une réflexion sur le sida. Faire entrer à l’université un discours sur la maladie, les études gaies et lesbiennes. Autant les années 70-80 ont été les années de l’institut Simone de Beauvoir, autant dans les années 90 il s’est passé quelque chose dans le domaine de l’identité sexuelle à Concordia. C’est une explosion qui a eu lieu dans tout les cultural studies, l’apparition des cultures minoritaires dans le milieu universitaire. Et Concordia a profité de ce boum plus que les universités francophones. Ça c’est l’autre barrière de la langue, c’est-à-dire qu’on est moins influencé par le débat linguistique. Je vais être nécessairement injuste si je parle de la langue à Concordia. Elle n’est pas toujours très ouverte au fait français. Mais est-ce qu’une université francophone serait plus ouverte au fait anglais? Les francophones viennent ici pour apprendre l’anglais, les anglophones ne viennent pas ici pour apprendre le français.
Pourquoi un étudiant francophone choisirait le département d’études françaises de Concordia?
Catherine Mavrikakis : Pour voir une autre façon de comprendre les études littéraires en français, c’est à dire comment on peut les étudier ailleurs que dans la langue maternelle. Il va y avoir plus d’innovation, comme par exemple plus d’intérêt pour la francophonie. Le département s’est développé rapidement une niche sur la francophonie parce que, pour lui, il était moins important de donner aux étudiants des « études québécoises », qu’on donnait ailleurs. Il offre une idée de la francophonie comme on la voit plus souvent dans les universités anglophones.
Au bout de dix ans comme professeure ici, vous quittez. Pourquoi?
Catherine Mavrikakis : D’abord parce que c’est bien de s’en aller : après 10 ans, j’ai envie de partir! Je pense que j’ai vu tout ce que j’avais à donner aux étudiants de 1er cycle et j’ai envi d’avoir des étudiants de deuxième et troisième cycles. J’ai envie de transmettre quelque chose que je ne pourrai pas donner à Concordia avant longtemps. J’ai envie d’être choisie par mes étudiants pour ce que j’aime étudier et non pas pour les cours que je donnes.
Les étudiants sont si plates à Concordia?
Catherine Mavrikakis : C’est pas qu’ils sont plates, mais c’est des étudiants en traduction, pas toujours en lettres. Et le département sert aussi à pleins d’étudiants francophones qui viennent prendre un cours de littérature parce que ça leur fait du bien, c’est en français. La spécificité du département, c’est que c’est pas un département trop straight « 17, 18ième siècle ». Ça sert à des étudiants qui ne sont pas des spécialistes de littérature et qui viennent prendre des cours de l’extérieur. Je pense qu’il faut que le département développe aussi un volet littéraire mais c’est difficile. C’est le même problème à l’UdeM avec le département d’études anglaises : pourquoi un anglophone irait étudier la littérature anglophone dans une université francophone? Vous voyez ce que je veux dire? Concordia, ça ressemble beaucoup à Montréal : il y a des gens qui parlent les deux langues, et il y a des gens qui ne parlent qu’anglais. Des gens qui parlent français, anglais et qui ont une autre langue maternelle. Concordia est rempli des enfants de la loi 101, qui allaient a l’école française au primaire et au secondaire, qui rentraient à la maison et qui parlaient le grec, par exemple avec leur parents, qui apprenaient le grec le samedi, qui parlaient l’anglais avec leurs amis parce que c’est comme ça que ça se passe dans la cour d’école et qui sont maintenant sont à Concordia. Il y a comme une espèce de schizophrénie de la langue. C’est Montréal, ça.
Vous allez avoir quoi comme poste a l’Université de Montréal?
Catherine Mavrikakis : Un poste de professeure de littérature du 20ième siècle et création. Ça me tente d’enseigner la création! Comment ça s’enseigne, c’est une des questions qu’on m’a posé en entrevue. Mon idée ça serait d’essayer de comprendre ce qu’est le processus créateur. J’aimerais que les étudiants lisent et tentent de comprendre ce qu’est une création.
Vous voulez leur faire comprendre comment d’autres créent ou comment créer eux-même?
Catherine Mavrikakis : Je crois que ça va ensemble. Je crois aux modèles, je crois à l’imitation : c’est en forgeant qu’on devient forgeron. Quand on crée, on ne crée pas à partir de rien, ex-nihilo. C’est bien de lire, je ne crois pas que quelqu’un qui ne lit jamais, écrive. Au 16ième siècle, pour écrire, il fallait imiter les Anciens. Ça fait partie de l’apprentissage : voir comment d’autres se sont mis à écrire. On peut être influencés par les autres et les mot des autres peuvent nous pousser à écrire.
C’est qui vos modèles, à vous?
Catherine Mavrikakis : Sans dire que je suivrais mon modèle et que j’écrirais tout comme lui : j’ai beaucoup aimé Hervé Guibert, qui a beaucoup écrit sur le sida. Mais Hubert Aquin est pour moi un écrivain immense. Bizarrement, il y a Ducharme aussi.
On parle beaucoup du plagiat dans le monde littéraire actuellement.
Catherine Mavrikakis : Moi, le plagiat c’est un débat que je ne supporte plus. Je comprend sla propriété des idées, je comprends que les étudiants doivent mettre des guillemets. Mais je pense qu’il y a une appropriation qui se fait dans l’imitation. Tout ce discours sur le plagiat me tape énormément sur les nerfs On nous dit de vérifier que nos étudiants ne plagient pas. Moi je m’arrange pour trouver des sujets qui sont impossibles a plagier!
Ça existe des sujets qui n’ont jamais été traités?
Catherine Mavrikakis : Vous croyez que ça n’existe pas?
Ça n’existe pas.
Catherine Mavrikakis : Je peux vous dire : prenez un tel, un tel, plus un tel et un tel, et trouvez moi un sujets là-dessus. Sur quatre auteurs je ne crois pas que vous trouviez moyens de tricher. J’en suis sûre! En lettres, et dans les sciences molles, je crois que le plagiat est un faux débat. Si je prend la thématique de la mère chez Réjean Ducharme, c’est sûr que tu peux aller regarder sur internet. Mais si tu prends un sujet très précis chez 4 auteur, je ne pense pas que tu puisses plagier. Et puis même si tu plagiais, c’est pas quelque chose de grave. Pas pour moi.
Dans votre roman, Ça va aller…
Catherine Mavrikakis : C’est du plagiat, mon texte!(rire)
Vous l’avouez?
Catherine Mavrikakis : Absolument! (rire) Bon, on peut dire que c’est du plagiat : on peut dire aussi que c’est de la parodie, de l’intertextualité. L’idée, c’est être habité par le texte d’un autre. Est-ce qu’on dit qu’on l’est? Si on ne le dit pas, ça devient plus grave. Mais se l’approprier, le changer, le défaire et en faire le sien, ça fait partie de l’éducation.
Pourquoi vous avez osé faire ça à Réjean Ducharme?
Catherine Mavrikakis : D’abord, le personnage s’appelle Robert Laflamme! Pourquoi j’ai osé… l’écriture de Réjean Ducharme est une écriture complètement obsédante, on a un rapport d’imitation avec elle : elle est là dans notre tête.
Vous ne parlez pas que de Ducharme,
vous citez aussi Hubert Aquin dans votre roman qui semble une quête du « poète national ». Est-ce qu’on a besoin de ça, un poète national?
Catherine Mavrikakis : C’est la question de mon livre : il n’y a pas de poète national. Tout le travail de mon héroïne est à cet effet. Elle essaie de ressortir le cadavre d’Hubert Aquin du placard pour en faire le poète national, mais ça ne marche pas. Elle n’y arrive pas, à trouver ce poète national. Elle sait qu’elle est quand même influencée par Rejean Ducharme… enfin, par Robert Laflamme, ou ce genre d’écrivain-là. Peut-être pas LE grand écrivain-monument, mais quand même quelqu’un avec qui elle a à faire.
Vous cherchiez à ‘déboulonné’ Rejean Ducharme?
Catherine Mavrikakis : Je penses qu’il était déjà déboulonné. Il est pas un poète national comme Aquin voulait l’être. Il n’est pas dans ce rapport-là. Il parle de politique, mais pas de la même façon. Il n’a pas le systématisme d’Aquin. Aquin indiquait la voie qui menait à la souveraineté.
Est-ce que vous proposez un modèle?
Catherine Mavrikakis : Non. Je pense que la vie ce n’est pas pédagogique. Dans la vie on n’a pas de modèle, il faut bricoler avec le monde. On a des modèles qu’on va de toute façon détruire très rapidement. Au contraire, je crois que ce que j’ai voulu dire c’est qu’il n’est plus possible d’avoir des modèles comme il y en avait auparavant. Même s’il faut encore les chercher. Et il y a une nostalgie en moi de ces modèles. En fait peut-être Ducharme est un modèle, mais alors il faut le penser autrement : pas comme un père mais autrement, à travers la contamination, le plagiat, l’intertextualité. Repenser le modèle.
Dans Ça va aller, (le personnage de) Matt The Spirit, c’est Jean Leloup ou Daniel Boucher?
Catherine Mavrikakis : (rire) Peut-être les deux! Mais j’aime beaucoup Jean Leloup.
Ça va aller, de Catherine Mavrikakis
Leméac Éditeur, Montréal, 2002 160 pages
Publié Mars 2003, Cf